Entretien Avec
ZaretaH MostaZa
Par Javier Dominguez, dans le cadre de l'exposition Road Trip, Du 23 juillet au15 août 2018
Javier Dominguez (JD) : Bonjour Zaretah, Pourrais-tu te présenter ?
Zaretah MostaZa (ZM) : Je suis Sarah Gilou Boggioni (alias Zaretah Mostaza), franco-Chilienne. Je viens de famille d’appétit artistique vorace. Chacun à sa sauce : cinéma, peinture, théâtre, poésie, cirque... Et surtout, une famille de nomades, entre autres, dû à l’exil : un Grand-Père hongrois, réfugié au Brésil ; une mère exilée à cause de Pinochet. C’est une famille qui a soif de justice. Entre les disparus, les tortures et les exilés, on peut parler d’un bagage génétique exalté. Je suis née en France le 2 décembre 1989, depuis toujours immergée dans un cadre artistico-politique.
En 2006 ma mère Eva Hajnal, artiste peintre, me traîne à Valparaiso, port principale du Chili, où j’ai pu découvrir mes racines américaines à travers la tribu qu’est ma famille chilienne. C’est à mes dix-huit ans que je pars en cachette vivre un amour fou, la jeunesse brouillée par l’espérance, à Quito, Equateur, avec le cousin de ma mère, Sebastian Manriquez Pozo, ecuato-chilien. Nous nous sommes connu au chili lorsque je venais d’y débarquer, explosant ma bulle confortable française et m’approchant à un autre style de vie, d’ouverture et de rapport au monde. Cette relation fut un premier amour, d’abord caché, puis quand il fut découvert, nous sommes partis sur les routes, vers l’Equateur. Je m’y suis marier car il me fallait un visa pour rester. Son père, mon grand-oncle, ayant une carrière en tant qu’artiste peintre déjà très prononcée, avait créé la corporation Fernando Manriquez, et nous y inséra. C’est alors que je m’initie plus sérieusement dans les arts plastiques.
La relation affective se dégrade, la chute est rude. Ce fut cependant, ma première ouverture aux voyages, à l’amour et à la douleur de l’échec amoureux. J’ai demandé alors de l’aide à mon père, Thomas Gilou, réalisateur de cinéma, qui demeure en France. Grâce à lui je commence des études dans l’école de cinéma EICAR, que je ne finirais pas dut à mon incompatibilité envers le système auquel j’étais confronté. C’est alors que je m’introduis en plein printemps arabe dans l’univers alternatif des occupations autogérées (squat) et des luttes des sans papier. En parallèle j’accompagne le Maestro Mario Murua, mon autre grand-oncle, lui aussi, artiste-peintre. Je suivis son travail dans son atelier collectif Oblik, à Paris.
En 2010 je commence une relation avec l’artiste Zadyme, un monstre de la provoc, avec une pratique très poussée du graffiti, souvent à la limite du vandalisme. On se séparera en Amérique Latine un an plus tard. Cette même année, en 2011, en plein désert du Chili, je rencontre Javier Basualto Alarcon un poète, professeur de philosophie et ermite. Nous entamons un périple jusqu’en Colombie en vendant des livres et récitant des poèmes dans l’espace publique. On se sépare en 2013, je pars reprendre mon individualité en Argentine, à Cordoba. Je commence des études de théâtre à L´UNC (Universidad Nacional de Cordoba). En parallèle je fut active dans la lutte contre Monsanto en participant dans le blocus d’une banque de graine, à Malvina Cordoba. C’est à ce moment que mon père nous rassemble moi et mes frères à New York, un court séjour familial de deux semaine, et il m’offre une caméra semi professionnel. A mon retour à Cordoba, je commence à expérimenter la bête. Un ami Chilien, Evaristo Jarawi m’introduit dans son projet de boîte de production audio-visuel Jallalla dans le désert d’Atacama, j’accepte en laissant mes études sans terminer.
Je fais mes bagages et retourne aux Chili, d’abord à Valparaiso avec Pola, une amie, avec qui nous formons un duo de musique poésie "Lenguas Partidas", c’est alors que je deviens ZaretaH Mostaza. Puis, je continue seule pour rejoindre le projet audiovisuel Jallalla à Arica, où j’y resterais huit mois. En parallèle nous formons le collectif FUNARTE avec Cilo Nuar, un ami poète-performeur. Ce collectif réunit divers artistes qui cherchent à viser les luttes politiques locales. C’est à partir de ce moment que la caméra s’adapte à ma vie mouvementée et m’accompagne partout, ayant sa place dans mon sac à dos. Elle me sert de carnet de bord, de monnaies d’échange, de support de luttes, de témoignage... par périodes je la délaisse, me focalisant plus sur le théâtre de rue, la peinture ou en essayant de m’initier à d’autres supports artistiques. Elle m’a de lors suivit tout au long du voyage : dans le carnaval d’Oruro en Bolivie ; dans un campement blocus des natifs Guajajara à Rio de Janeiro ; dans un projet "Livroteca Brincante do Pina" avec les enfants de la favela du Bode à Recife ; dans le métro de Paris ; à New York...etc.
JD : Il est intéressant de voir que ta famille est de grande importance quant à ton travail artistique. Pourrait-on parler de références artistiques ? Autrement, je cru comprendre que tu as initié un voyage lors de tes dix-huit ans, mais il me semble que ce voyage est toujours en cours au jour présent. Pourrais-tu nous parler un peu de ce que tu fais dans l’actualité ?
ZM : Il me semble que mon passé me colle à l’instinct... c’est sûr que nos corps, nos apparences, ont leur propre poids dans la société. Rien que par aspect superflue nous émettons des informations. Toute une contamination de références et catégories que nous assumons inconsciemment. C’est pour cela que je commence par mes origines et ma famille atypique, une histoire sensible et chaotique, que je ne cesse de découvrir. C’est par le voyage que j’ai choisi de chambouler tous les codes et zones de confort. Pour finalement me confronter à la déconstruction de ce “code barre social”. Actuellement, après mon passage au Brésil, lieu où je suis resté une année et où j’ai pu savourer la langue, les paysages les nuances et les textures, j’ai traversé l´Amazonie pour retourner à Quito, Equateur et m’y divorcer. C’est là où je me laisse envahir les espaces publiques avec des performances et interventions poétiques, profitant de chaque rencontre pour varier les exhibitions. J'essaie de m’initier à la musique et au jonglage. J’y ai revu mon Grand-oncle, Fernando Manriquez, avec qui nous avons entamée quelques travaux artistiques. Je continue à absorber, en attente de me trouver dans un lieu propice pour cesser un instant le périple.
JD : Cette "absorber" comme tu bien dis, il est très visible dans l'ensemble de tes travaux. Les divers contextes auxquels tu te mêles donnent des approximations de la réalité d’une très grande diversité, qui nous montrent la présence d'une quête très intense. Dans tes montages je découvre la série de travaux qui documentent l'activité artistico-politique du Collectif FUNARTE lors de ton séjour en Arica en 2016. Ton regard ici semble proprement interne et active dans ton engagement au collectif. Il me semble que ta perspective change dans la suite des vidéos "Projet Livroteca Brincante do Pina" (2017), parues lors de ton séjour au Brésil. Contrairement à la suite de vidéos de FUNARTE, ici ta position semble plus proche de celle du témoin. Dans les deux cas la ligne, est l'engagement avec les diverses luttes. À ce sujet, la question de l’art et la politique inonde la théorie esthétique au moins depuis un siècle et je pense qu’il serait intéressant de la traiter un peu ici à partir de ta perspective. Comment vois-tu cet entrecroisement ? quel serais le rôle de l’artiste, et de la création dans un terrain politique ? et aussi, bien sûr, quels seraient ses dangers ?
ZM : La vidéo est un support audiovisuel. Ma présence dans ces différentes luttes est surtout en y donnant corps et âme. Beaucoup de ces vidéos, la plupart, sont faites rapidement, pour la nécessité d’un registre... c’est-à-dire, les images sont capturées et entremêlées à des divers milieux et d’autres actions non filmiques que j’exécute. Il est d’une importance sans nom, de faire partie intégrale de la lutte, ne pas venir de l’extérieur mais du centre même, des entrailles. Le danger serait d’être un regard superficiel et toute les perversions qui accompagne le spectateur des luttes, car c’est en étant un pion de plus nous connaissant les réels dangers qui peuvent la/nous affecter. Cela n’empêche pas de chercher un regard neutre, et parfois au contraire, vouloir immerger le spectateur dans un climat qui parlerais beaucoup plus par soit même en essayant à chaque fois de se positionner dans un regard neuf et vierge, en laissant de côté la connaissance routinière. Les dangers sont variés, ignorer les codes (respect), la lutte réel (conscience), et être externe (confiance), peut être mortel !
JD : J'ai découvert avec beaucoup de plaisir des montage expérimentaux comme c’est le cas d’Un regard de Valparaiso, Chili (2011) ou ExTra ACto EpilePtiCordoBes (2015), les deux très plastiques dans sa conception. En ce qui concerne ce dernier, les textes Nada de Carlos Pezoa Veliz et Exilio de Alejandra Pizarnik que tu interprètes, sont montrées de façon accélérée, de sorte que ce qui prédomine est le montage vidéo par-dessus les poèmes. Cela est intéressant davantage car c'est finalement le montage vidéo qui recueil le statut de poème. Autrement dit, l'espace de la vidéo, n'est pas la trace d'une performance (lire un poème), mais l'œuvre elle-même. À ce sujet, je pense que New York, todo bien (2016) traversée par un poème de ta propre plume, nous donne à voir un portrait sauvage de la ville de NY et plus largement, une interprétation critique vraisemblable de notre société de consommation. Le montage, est fait de telle sorte, que rends indivisible le poème du document. Ce sont bien ces deux questions qui me semblent traverser l'ensemble de ton travail. Nous avons un peu parlé de la façon dans laquelle tu montes tes vidéos et je laisse la porte ouverte à donner plus de précisions, mais je voudrais aborder la question de la poésie. Que te meut à choisir un poème donné ? en quoi ce dernier contribue à ta propre pratique de l’écriture ? Et plus largement, en quoi ces derniers déterminent ou non la forme de la vidéo résultant ?
ZM : Par rapport aux vidéos expérimentales, en général ces dernières naissent d’un jet hasardeux. Avant de quitter une ville je collecte quelques images. Souvent, ce sont des images où je m’allie avec quelques artistes le temps d’une improvisation, puis je laisse les vidéos de côté. Dès que j’ai l’occasion, lors d’une pause du voyage où j’aurais accès à tous les équipements et logiciels, je me mets à monter. J’essaie d’extraire ce qui me parait le plus important de chaque vidéo récolté. Une à une je leurs trouve un ordre et finalement je me mets à mixer l’ambiance sonore.
Pour le moment j’ai quelques complications au niveau matériel, mon ordi est décédé dans la traversée de l’Amazonie (ce qui m’a valu la disparition de quelques travaux), et les batteries de la caméra ont actuellement des problèmes de charges. Par rapport à la poésie, les poèmes qui apparaissent dans ExTra ACto EpilePtiCordoBes font partie du répertoire de poésies que j’interprète dans les espaces publiques. Ce fut une improvisation furtive, non préméditée, que nous avons entamé avec le batteur Patricio Giovanie. Je suis en constante maturation, surtout en ce qui concerne l'écriture et je dois dire que je ne me sens pas encore à l’aise pour me considérer poète. Ce qui est sûr en ce moment, c’est que je commence à sentir le besoin d’une réflexion plus posée de ce voyage. J’ai besoin de construire un point de chute, et de m’y poser à y digérer et créer à partir de cette longue expérience.
JD : Pourrais-tu nous donner plus de détails sur ces interventions publiques ?
ZM : Depuis quelques années j’utilise la poésie pour intervenir les transports/ et espaces publiques. C’est de cette manière que grosso modo je me débrouille avec les dépenses minimes du voyage. C’est aussi et surtout une manière d’ébranler la routine et confronter les personnes à la littérature. Une manière ludique et théâtrale. Certains textes sont plus provocateurs que d’autre, mais la plupart ont un fond bien critique. Souvent je m’allie avec d’autres artiste (musique, danse, peinture, etc..) et nous créons une arme artistique, qui incommode parfois, émeut aussi... l’important c’est que personne ne reste indifférent.
ZaretaH MostaZa, Inotrance, 2014, Photographie Numérique, Courtesy de l'Artiste.